Les européens (1998)

27 octobre 1998

Résumé :

Né à Dulwich en 1946, Howard Barker est l'un des plus importants auteurs dramatiques de ce temps. Son travail jette un pont entre les grands mythes du passé, les mystères éternels et les angoisses contemporaines. Par une poésie où se mêlent le lyrisme de la plus pure tradition élisabéthaine, le langage le plus ordurier et les idées les plus choquantes, il explore le pouvoir, la sexualité et les transactions entre les humains. Philippe RegniezCe dont j'ai besoin. Et ce qui sera. J'ai besoin d'un art qui rappellerait la douleur. L'art qui sera sera toutes fioritures et festivités. J'ai besoin d'un art qui tomberait à pic à travers le plancher de la conscience pour libérer le soi pas encore né. L'art qui sera sera extravagant et éblouissant. J'ai besoin d'un art qui briserait le miroir devant lequel nous posons. L'art qui sera sera tous les miroirs. Je veux fabriquer un nouvel homme et une nouvelle femme mais seulement à partir des morceaux de l'ancien modèle. Le nouvel homme et la nouvelle femme insisteront sur leur nouveauté absolue. Je demande beaucoup. Le nouvel art ne demandera rien. Et maintenant je vais me coucher... (Starhemberg, Les Européens)

Crédits :

Mise en scène: Armel Roussel. Interprétation: Karim Barras, Yoann Blanc, Éric Castex, Urteza da Fonseca, Anne Delatour, Malika Hsino, Frédéric Lubansu, Fanny Marcq, Vincent Minne. Danse: Thierry DelvigneInou Gazzara. Scénographie: Armel Roussel. Costumes: Maylis Duvivier. Lumières: Philippe Baste. Création des maquillages: Urteza da Fonseca. Musique originale: Philippe Cam. Assistanat à la scénographie: Anne Marcq. Assistanat à la mise en scène: Frédéric Lubansu. Assistanat aux costumes: Souad Kajjal. Assistanat aux maquillages: Lydia Virzi. Régie lumières: Marc Lhommel. Régie son: Jean-Philippe Monteiro. Régie vidéo: Philippe Baste. Régie plateau: Inaki Azpillaga, Alexandre Lefebvre.

Interview d'Armel Roussel 

Le spectacle que vous allez voir se veut libéré des structures narratives habituelles. L' histoire n'est pas l'axe le plus important de ce que nous vous proposons. Elle n'existe que sous forme de bribes. Nous avons travaillé la logique de l'instant: instant du langage, instant du personnage, instant de rapports humains. La pièce est aussi déconstruite que le monde qu'elle dépeint. Par conséquent, il est inutile d'essayer d'analyser ce qui vous est proposé, notre démarche constituant davantage à tenter de vivre l'instant. Un spectacle n'est pas un livre où l'on peut revenir en arrière, relire une page ou revenir au chapitre précédent. Il faut accepter d'être transporté dans la succession d'instants présents. Nous avons donc créé un spectacle qui flirte avec la manipulation directe des spectateurs et fait appel à leur intelligence active.

Ceci est, bien entendu, lié aux thèmes que draine Les Européens : manipulation et politique, comment peut-on en arriver au fascisme ?

Tout aussi dur que puisse être le texte des Européens, la forme dans laquelle nous nous inscrivons reste très positivement dynamique. C'est une fête. Pas d'ironie mais une " santé " dans le spectacle de la douleur. Nous parlons d'un monde qui tourne mal, mais nous-même, nous allons (plutôt) bien.

Nous voulons témoigner avec espoir d'une misère humaine, du chaos. Du Théâtre de la Catastrophe d'Howard Barker à notre théâtre du chaos, doit naître un théâtre de la pulsion. Le but est évidemment de secouer le public, de lui insuffler une énergie, un désir de bien, une conscience de certains écueils politiques en l'invitant à " rager " avec nous, à rager et réagir.

Nous rêvons d'un spectacle comme d'un antidépresseur.

Armel Roussel

Entretien du metteur en scène paru dans Alternatives Théâtrales N°57

Mike Sens : Qu'est ce qui a guidé votre travail dramaturgique sur Les Européens ?

Armel Roussel : une phrase de Julia Kristeva : " Il y a dans l'abjection, de ces violentes et obscures révoltes de l'être contre ce qui le menace et qui lui paraît venir d'un dehors ou d'un dedans exorbitant, jeté à côté du possible. (...) ". En relisant la pièce, m'est apparu soudain son aspect humain alors que j'en avais d'abord perçu l'aspect politique. Les personnages sont riches et complexes, et je me suis demandé ce qui pouvait les relier tous. Et ce pourrait être ça, ce sont tous des personnages abjects.

Quand Kristeva explique ce qu'est " l'abjection personnelle " on pourrait l'appliquer à chacun des personnages et développer. Pour certains la menace semble venir du dedans, pour d'autres ce sera du dehors. L'abjection peut passer par le rejet de soi, le rejet de l'autre, de l'autre sexe, de l'origine, des parents. L'abjection est une notion très importante pour les Européens. Il s'agit de savoir quelle est la limite de leur condition de vivre.

Comment se passe le travail avec les comédiens ?

Avant de travailler en équipe, je les rencontre, deux ou trois fois chacun et nous discutons uniquement de leurs personnages. Chez Barker, tout est tellement complexe, qu'il est impossible à la simple lecture de voir les parcours individuels. Il existe une cohérence totale dans le trajet des personnages. Une cohérence qui présuppose que les personnages ont continué à vivre quand ils sont absents de la scène. La notion de destin est également très présente pour chacun d'entre eux.

Vous finissez par créer une pièce dans la pièce...

Même si l'on veut conserver l'ambiguïté du propos, il faut que les acteurs sachent clairement ce qu'ils jouent. On s'invente donc des histoires claires pour les personnages. Si on s'en tient à la lecture politique, ce n'est pas suffisant : on a besoin d'une lecture humaine.

Le point commun entre le travail de Barker et le mien, c'est la déstabilisation du spectateur. Lui la cherche par l'utilisation du langage et du sens. Moi je travaille aussi sur le visuel, l'auditif, le sensitif, sur les choses de la scène. Pour Barker, la déstabilisation doit venir uniquement de la sobriété de la langue. Or moi, je ne suis pas sobre du tout. La déstabilisation doit venir aussi de l'énergie du plateau, du visuel et du son.

Barker dit que la souffrance est un passage obligatoire pour arriver à la perception de la beauté...

Je suis d'accord avec lui. Le travail préliminaire que nous faisons en atelier n'est pas spécialement basé sur le plaisir, ça passe par un travail de transgression de ses propres complexes, par l'exploration de ses propres limites et c'est proche de la douleur. Ensuite sur le plateau, je travaille sur le plaisir de jouer, qui reste complètement imprégné du travail de l'atelier. C'est un alliage de douleur et de plaisir. On essaie de parler d'un monde qui tourne mal mais nous, nous allons plutôt bien. On veut défendre ce monde-là quand même. Il me semble que cela correspond à la position du spectateur d'aujourd'hui.

La pièce prend ancrage dans l'Autriche de la fin du XVIIème siècle, lors du siège de Vienne par les Turcs. Après que le Général Starhemberg ait massacré les turcs et sauvé Vienne l'empereur Léopold et l'impératrice retournent au pays. Ils débarquent dans une terre dévastée, humiliée, totalement ébranlée dans ses fondements économiques, artistiques, religieux, moraux et humains. Pourtant il faut reconstruire l'Europe et pour reconstruire, il faut concilier. L'enfant du viol de Katrin en sera le symbole et la métaphore. Mais à quel prix peut-on panser les blessures ?

Howard Barker ne donne pas de réponse. Son théâtre, pas plus que sa pièce, n'est le lieu de la conciliation, ni de l'exposition de la bonne conscience pour tous.

Howard Barker. The Guardian. 22 août 1988

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